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Mal formés, trop nombreux…. Les ostéopathes dans le viseur de l’Igas

Un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales paru ce mercredi recommande de réduire le nombre de praticiens et de durcir les contrôles des formations en ostéopathie.

Ostéopathie

Le niveau général des ostéopathes est très variable selon un rapport de l’Igas, qui rappelle également que les effets de cette pratique ne sont pas démontrés.

BURGER / Phanie via AFP

Antoine Beau

Publié le 24/05/2023 à 18:30

Des étudiants qui ne sont pas au courant des gestes à éviter, des écoles trop peu contrôlées… Dans un rapport au vitriol publié ce mercredi, l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) pointe de nombreuses insuffisances dans la formation des ostéopathes, qui comptent pourtant parmi les thérapeutes alternatifs préférés des Français. En cause, des enseignements qui « ne permettent pas de garantir la qualité des diplômes et, in fine, la sécurité des usagers », dénonce l’Igas. Pour devenir ostéopathe, il n’est d’ailleurs plus nécessaire depuis 2002 d’avoir un statut de professionnel de santé :il suffit de suivre un cursus de cinq ans dans une école privée agréée par l’Etat. Une décision que regrettent les inspecteurs de l’Igas.

Pour accueillir des élèves, les écoles doivent obtenir un agrément, délivré par la commission consultative nationale d’agrément (CCNA). Or celle-ci peine à « valider certains critères pourtant essentiels touchant à la pédagogie et au niveau des compétences professionnelles acquises lors des pratiques cliniques », car aucun contrôle n’est réalisé sur place, souligne le rapport. L’Igas recommande donc de durcir la procédure pour devenir organisme de formation. A l’heure actuelle, elle consiste en une simple déclaration des établissements, qui indiquent la qualification des enseignants, leur temps de présence, et le nombre de consultations que peuvent effectuer les étudiants. L’Igas souhaite notamment qu’un « contrôle sur site » soit réalisé par les agences régionales de santé.

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Des gestes à éviter, pas connus de tous

En l’état, un certain nombre d’établissements ne paraît donc pas répondre aux critères d’exigence, relèvent les inspecteurs. Ils alertent sur « les dérives possibles au sein de certaines écoles […] aux enseignements doctrinaires, excluant la collaboration avec les autres professionnels ». Des lacunes qui interrogent sur le nombre d’accidents causés par de mauvaises manipulations. Impossible de le savoir car il n’existe aucun suivi. L’Igas préconise de mettre en place un registre des accidents graves consécutifs à des actes d’ostéopathie et de chiropraxie, et également de créer une commission nationale, chargée de décrire et d’évaluer les pratiques des ostéopathes et des chiropracteurs, pour dissiper le flou.

Pour éviter les accidents, certaines manipulations, notamment celles du crâne, de la face et du rachis, ne peuvent être effectuées qu’après établissement par un médecin d’un diagnostic attestant l’absence de contre-indication. D’autres sont tout simplement exclues en toutes circonstances, comme les manipulations gynéco-obstétricales. Or certains étudiants ou professionnels en exercice ne seraient pas au courant des gestes à éviter. « Il ressort des auditions et des visites menées par la mission que ces référentiels ne sont pas toujours respectés, voire ne sont pas connus de certains étudiants et professionnels en exercice », s’inquiètent les inspecteurs de l’Igas.

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Le rapport souligne également la nécessité de faire évoluer les critères pour être diplômé en ostéopathie, afin de « garantir la qualité des diplômes délivrés ». Parmi les pistes proposées, la validation d’un examen final dont le jury comporterait des membres extérieurs à l’école, ou encore la création d’un organisme public de formation à l’ostéopathie, comme c’est le cas en Allemagne par exemple.

En parallèle, l’Inspection générale des affaires sociales propose de réduire le nombre de professionnels formés, aujourd’hui en « augmentation incontrôlée ». La France est en effet le pays qui compte le plus d’ostéopathes par habitant, 42 pour 100 000, contre 34 aux Etats-Unis et 8 en Allemagne.

Une pratique inefficace

L’Igas rappelle que l’efficacité de l’ostéopathie n’a pas été démontrée et que « plusieurs universitaires alertent sur les dangers potentiels de ces activités non contrôlées ». « Il est de ce fait primordial que l’exercice de ces professionnels puisse faire l’objet de recherches scientifiques visant à mieux connaître et évaluer la pratique », conclut l’Inspection.

Si les études manquent, plusieurs d’entre elles tendent à montrer que l’ostéopathie ne serait pas, ou peu, efficace. L’Hôpital Cochin, l’Inserm et l’Université de Paris concluaient en 2021 que « les manipulations ostéopathiques ont un effet faible et non cliniquement pertinent sur le retentissement de la lombalgie sur les activités de la vie quotidienne ». Dans cet essai clinique randomisé, mené sur 400 patients et publié dans le Journal of the American Medical Association (JAMA), aucun bénéfice n’a été recensé sur « la douleur, la qualité de vie ou la consommation de médicaments ».

Reste que l’ostéopathie est parfois préférée aux soins conventionnels, quand elle n’est pas choisie par défaut, du fait du manque de soignants. « Certains de nos interlocuteurs nous ont décrit des situations dans lesquelles des patients, vivant dans des déserts médicaux, auraient recours régulièrement à un ostéopathe en lieu et place du médecin ou du masseur kinésithérapeute », relate le rapport de l’IGAS. Un phénomène qui devrait s’accentuer : « Les carences grandissantes en professionnels de santé laissent craindre que ces pratiques déviantes ne se répandent ».

Eviter d’ouvrir la porte aux dérives sectaires

De quoi inquiéter les spécialistes, car les pratiques non conventionnelles comme l’ostéopathie, mais aussi la chiropraxie, l’hypnose, ou encore l’acupuncture peuvent parfois se trouver à l’origine de mise sous emprise, dont s’inquiète régulièrement la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes). Les signalements qui lui sont adressés sont en hausse de 50 % depuis 2015.

En mars 2023, le gouvernement a annoncé la création d’un « comité d’appui pour l’encadrement des pratiques de soins non conventionnelles », dont fait partie l’ostéopathie « afin que cessent, par exemple, de coexister […] de façon indifférenciée les dérives sectaires et les pratiques auxquelles ont recours des professionnels de santé en appui de l’exercice », avait expliqué la ministre déléguée aux Professions de santé, Agnès Firmin Le Bodo.


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